Rencontre avec Louise Bourrat, gagnante de Top Chef 2022 : une « éternelle satisfaite ».

Louise Bourrat, gagnante de Top Chef 2022

Après sa victoire à l'édition 2022 de Top Chef, Louise Bourrat est désormais cheffe du restaurant Boubou’s et fondatrice du Boubou’s Sandwich Club à Lisbonne. Comment a-t-elle vécu sa sortie de l'anonymat suite à l'émission ? Comment s'est-elle relevée suite aux violences subies durant sa carrière ? Rencontre avec cette « éternelle satisfaite ».

Ambitieuse. Rebelle. Engagée. Louise a porté ses valeurs sans fléchir dans chaque étape de son parcours professionnel, quitte à y laisser quelques plumes, et s’attirer parfois quelques foudres. Une chose est sûre, le coup de projecteur qui a suivi sa victoire de Top Chef en 2022 n’aura eu raison de sa simplicité et de son humilité. Désormais cheffe du restaurant Boubou’s et fondatrice du Boubou’s Sandwich Club à Lisbonne, Louise a le sentiment d’avoir trouvé sa place.

Comment la cheffe franco-portugaise a-t-elle vécu cette sortie de l’anonymat ?

Face aux violences qu’elle a subies durant sa carrière et qui sévissent encore pour bon nombre dans le milieu, comment a-t-elle réussi à créer un restaurant où bienveillance, conscience écologique et respect des femmes règnent en maîtres ?

Rencontre avec cette “éternelle satisfaite”.

Qui es-tu, Louise Bourrat ?

Je suis restauratrice, cheffe, et une personne assez simple.

Quel est l’aspect que tu préfères dans ton métier ?

Dans la cuisine, ce que je préfère, c’est ce côté méditatif, vraiment manuel, de pouvoir poser son cerveau et juste se concentrer sur ce qu'on fait avec nos sens et avec nos mains.

Et après, c'est tout l'aspect créatif qu'il y a derrière. Que ce soit par rapport à la nourriture en elle-même, le lieu, la musique qu’on va mettre, la décoration, le concept qu'on va essayer de déployer, la créativité dans les techniques de management, l’expérience que l’on va faire vivre à nos clients…

J’apprécie la diversité aussi. Je ne fais pas que de la cuisine, je m’occupe aussi de la DA, des RH, du marketing. C’est assez large.

La chose que tu aimes le moins dans ton métier ?

Le marketing. C'est vraiment paradoxal. En fait, je suis restauratrice. Ça, c'est mon travail. Sauf qu'en 2023, on te demande aussi d'être plus ou moins influenceuse, d’avoir cette double casquette médiatique, et d’autant plus quand tu fais une émission comme Top Chef. 

De façon générale, tu es obligée d'être un peu sur la toile, et j'ai beaucoup de mal avec ça parce que ça prend beaucoup de temps. Si j’en ai, je préfère faire autre chose. Dans mon for intérieur, je me dis : « mais en fait, ça ne sert à rien, c'est une vaste mascarade ». 

Et, d'un autre côté, il y a tout ce qui est attendu de moi, il faut que je rentre dans le rang, donc je suis en constante battle en fait.

Tu dis avoir eu honte de t’engager dans la cuisine au début. Pourquoi ?

Louise Bourrat, gagnante de l'édition 2022 de Top Chef

Louise Bourrat, gagnante de la saison 13 de Top Chef

Oui, j'en ai toujours eu honte. C'est un truc que j'ai caché pendant les dix-huit premières années de ma vie, presque. Ça a toujours été mon hobby, depuis aussi loin que je me souvienne ; tous les week-ends, je m'enfermais dans la cuisine à faire des gâteaux, des macarons, des pâtisseries et que sais-je encore.

Mais j'avais un peu honte. Vers les années collège, le samedi, on est plutôt censée aller faire du shopping avec les copines. Moi, je préférais rester à la maison, et aller m'acheter du matériel de cuisine et des livres.

Je savais que la cuisine était encore considérée comme une voie de garage, que ce n'était pas très élitiste. Or, je n’étais pas mauvaise à l'école. J'ai toujours eu la volonté de réussir dans la vie, j'ai toujours été quelqu'un d'ambitieux. Je me voyais comme une femme accomplie qui réussit par elle-même.

Donc, il fallait que je suive le schéma d'études classique, un peu plus élitiste. Je me suis embarquée dans un truc qui ne me correspond pas du tout, scientifique, spé maths… l’enfer !

Tout le monde savait autour de moi que j'allais finir cheffe. Sur Parcoursup, le seul vœu que j'avais mis concernant l'hôtellerie-restauration, c'était la meilleure école publique en France d'hôtellerie, l'école de Thonon-les-Bains.

Je me suis dit que si j’étais prise, c’est que c’est ce que je devais faire. J’ai finalement été prise, et là mon monde s'est écroulé. « Vraiment, je vais aller porter des tailleurs noirs avec des collants couleur chair ? » Je n’y ai pas fait long feu : ça a duré un an et demi. Il y avait cet aspect hyper rebelle chez moi où, par exemple, le tailleur, ce n’était pas possible. J’ai donc arrêté mes études en plein milieu et je suis partie à Londres. 

Qu’as-tu tiré de tes expériences à l’étranger ? As-tu remarqué des différences sur la façon de gérer un restaurant, sur l'ambiance dans les équipes, etc. ?

Oui, à 200%.

Après mes expériences en France et en Belgique, dans le milieu étoilé, j'avais décidé d'arrêter parce que j'avais subi des violences psychologiques qui m’avaient complètement dégoûtée. Ça m'avait détruite, émotionnellement et physiquement. J'étais au fond du trou.

Travailler jusqu'à ce que tu ne puisses plus tenir debout - on parle de 16, 17 heures par jour -, des violences sexistes… 

Pour le coup, je n'ai pas subi de violences physiques. Pas trop.

« Quand je parle de violences physiques dans le milieu de la restauration, vu ce que j'ai entendu dire par mes confrères, c'est vraiment se prendre des casseroles bouillantes dans la tronche, ou se faire griller la main, de façon très littérale. »

Je n'ai pas vécu de choses aussi violentes que ça, mais il y avait quand même des mains baladeuses. Puis c'était surtout psychologique, en fait. En tant que femme, la façon dont on va te regarder, la façon dont on va te parler, le fait qu’on te dise que tu n'as rien à faire ici… C’étaient des trucs très ambigus, même un petit peu salaces.

Et en fait je me suis même moi-même presque infligé ces violences-là, où s’il faut que je travaille 18 heures pour leur montrer que je suis capable, je vais travailler 18 heures. Sauf que ce n’est pas du tout durable.

Du coup, ça m'a complètement dégoûtée de ce métier, parce que c'était ma passion, et le peu d'expériences que j'avais eues allaient à l'encontre, pour moi, des valeurs de la cuisine et de l'hospitalité.

J'ai donc décidé d'arrêter, et c'est à ce moment-là que mon frère m'a trouvé un boulot à Londres. Il m'a pris un billet d'avion, et m'a dit : « On va pas gâcher ton talent et ton rêve ». 

En Angleterre, c’était le jour et la nuit. On t'appelle par ton prénom, on te respecte. On a le droit de rire, ce qui n'était pas forcément le cas dans mes expériences passées où si tu souris un peu trop, tu vas t’en prendre une.

Et puis il y avait le format anglo-saxon : peu importe ton niveau d'expérience ou ton niveau d'études, si tu travailles dur et que tu te donnes les moyens d'y arriver, tu vas pouvoir gravir les échelons rapidement. Ce n’est pas comme en France où -je ne sais pas si c’est encore comme ça - pour être chef de partie, il faut avoir 5, 6, 7 ans d'expérience.

Là-bas, si tu es capable, vas-y, go : on te donne l'opportunité.

Donc, il y avait vraiment cette différence-là qui est énorme en Angleterre, et qui m'a réconciliée avec le métier.

Comment as-tu vécu ton passage dans l’émission Top Chef ? Es-tu contente d’y avoir participé ?

Oui, j’en suis très heureuse, parce que ça a été un énorme tremplin. Pour moi, ça relève même du miracle, surtout du point de vue du restaurant. Rien que deux ans auparavant, on était à deux doigts de tout perdre et d’être endettés jusqu'à la fin de nos jours. Et deux ans plus tard, le restaurant était plein à craquer, avec une liste d'attente de trois mois… c'était un truc de fou. On a pu repayer les dettes au fur et à mesure, et puis même réinvestir. On s’est sortis d'un tunnel très, très, très obscur. Je suis donc d'une reconnaissance absolue. 

Après, ce n'est pas tout beau tout rose non plus. Psychologiquement, ce n’est quand même pas évident à gérer, que ce soit le tournage, la diffusion ou la post-diffusion. 

Pendant le tournage, on dort très peu. On se nourrit très mal. On a une dose de stress qui est terrible et, personnellement, je n'aime pas du tout être stressée.

Chez moi, j'essaie justement d'instaurer un environnement le plus sain possible, avec le moins de pression possible.

Je me suis presque retrouvée à aller à l'encontre de mes valeurs. Les tout premiers jours du tournage, j'allais voir la production en leur disant :  « Mais ce n'est pas possible de nous traiter comme ça ». Mon côté rebelle encore une fois ! Et ils m'ont très clairement dit : « Si t’es pas contente, tu prends tes affaires et tu dégages ». Je me suis donc pliée au jeu, mais ce n'était pas sans y laisser quelques plumes. 

Puis, la difficulté de passer de l'obscurité à la lumière, je ne l'ai pas très bien vécue. Je m'en sors tout juste. Je n’aime pas beaucoup l'attention. Pour moi, vivons bien, vivons cachés. C'est très paradoxal quand tu as fait Top Chef, mais tout le côté médiatique, image, etc., c'est quelque chose qui me fait assez peur, parce que je sais que c'est très facile de tomber là-dedans. Et comme une majorité de personnes, le regard des autres, on y prête beaucoup attention.

C'est un truc qui peut très, très rapidement te détruire. Et encore, étant à l’étranger, je pense que j'étais beaucoup moins exposée que des anciens candidats qui vivent à Paris. Être en train de faire tes courses un dimanche en tongues et en jogging, et qu'on t'arrête pour prendre des photos… ce n’est pas évident. Parfois, tu n’as pas envie de parler, tu n'es pas sous ton meilleur jour.

La raison pour laquelle je l’ai fait, c’est donc pour sauver le restaurant, et aussi me reconnecter avec mon pays, car ça faisait des années que je n’étais plus en France.

Ta carte est pour grande partie végétale. Comment ça s’est mis en place ?

En cuisine, au début, je préparais des épaules d'agneau confite. C'était un peu le plat signature que mon frère avait mis à la carte, et j'en faisais une vingtaine par jour. Sauf que ça me dégoûtait, cette abondance. 

J'ai donc commencé à réduire la viande, et à choisir des morceaux mal-aimés.

Aujourd’hui, le menu végétarien nous amène pas mal de clients.

La question du gaspillage est aussi importante pour nous. Par exemple, à la place d’un film plastique, on va utiliser des contenants réutilisables, et c’est tout aussi hygiénique contrairement aux idées reçues.

Ton restaurant est essentiellement composé de femmes aujourd’hui. Est-ce que cela vient d’une envie particulière de ta part, ou est-ce parce que plus de femmes postulent ?

Il y a plein de raisons. C'est arrivé de façon involontaire, juste après la pandémie. On a fermé plusieurs mois, on n’a pas eu de rentrées d'argent, et on n’avait viré personne de notre staff : on ne pouvait donc pas les payer.

Quand on a enfin pu rouvrir le restaurant, on a demandé à notre équipe s'ils pouvaient venir travailler deux semaines, en guise de faveur, et à la fin du mois, on leur paierait le mois. Finalement, seules les femmes sont revenues. 

Et il y a eu une sorte de cohésion totale. C'est à ce moment-là qu'on a mis en place le projet éco-responsabilité et durabilité chez Boubou’s. C'était tellement sain et productif, je n'avais jamais vécu ça. On osait élever notre voix et dire ce qu'on pensait, sans jugement, en accueillant la vulnérabilité de chacune.

C'était à la fois galvanisant et ressourçant.

À l’inverse, j’avais beaucoup de mal à manager des hommes, notamment dû à mes propres biais. Je vais avoir beaucoup plus de facilité à donner des directives à une femme qu’à un homme, par exemple, encore aujourd'hui. Je me déteste pour ça, mais je vais tout le temps prendre des pincettes parce que j'ai peur d'être dans le conflit, de ne pas être écoutée ou prise au sérieux. Il faut dire que par le passé, j’ai eu un employé qui m’a mis une patate, et je ne sais toujours pas pourquoi.

Donc manager des femmes, ça me convient bien. Et ça attire des femmes. En effet, quand on ne se sent en sécurité ni chez soi, ni dans la rue, ni dans les transports, au moins elles savent qu’elles peuvent être en sécurité quand elles sont au travail.

Pour autant, les candidatures ne sont pas du tout fermées aux hommes. J'ai des garçons dans mon équipe, que ce soit en salle ou en cuisine. Il n’y a pas de discrimination à l'embauche. Je pense que j'en ai fait, à une époque, puis je me suis dit que ça allait à l’encontre de mes principes. Et en même temps, est-ce qu'on n'a pas aussi le droit de se retrouver entre femmes… c’est un sujet très complexe.

Comment organises-tu ton restaurant pour garantir plus de bien-être au travail ?

Déjà, on est en semaine de quatre jours, soit 40h/semaine, ce qui nous laisse deux jours consécutifs pour récupérer.

Le problème dans le milieu, c’est qu’on est beaucoup trop sous pression, et c’est une des explications des violences en cuisine, que ce soit envers les femmes, les stagiaires, les hommes, les homosexuels… On ne nous permet pas d'avoir un sas de décompression suffisant, ce qui fait qu’on tombe très rapidement dans l’abus, aussi bien d’alcool que de substances, et ça bousille notre vie privée. Il faut donc retrouver un équilibre, et revaloriser ce métier.

Chez nous, on fait beaucoup de trainings, que ce soit sur le leadership, le team management, l'éloquence, l'histoire de la gastronomie. On fait aussi des ateliers créatifs en cuisine. On crée des professionnels qui sont sains, et ça change tout. Il y a un autre truc aussi, que l’on fait depuis 2020, c'est que tout le monde bénéficie de la même façon des pourboires. On a très peu de disparités de salaires, dans le but de valoriser chaque corps de métier. Ce n'est pas parce que tu es serveur et que tu as fait 70€ sur une table que tu vas garder les 50 % et tout le monde va se dispatcher le reste, non. Le travail de mon plongeur, de mon sommelier, de mon chef de partie, de mon commis, a autant d'impact sur l'expérience client. Cette organisation permet vraiment d'avoir une atmosphère saine où il n'y a pas de compétition.

C'est quoi l'avenir pour toi ? Quels sont tes projets ?

Continuer ma vie simple. J’espère m'installer bientôt à la campagne.

En vrai, je suis heureuse là où je suis, je suis heureuse avec mes équipes, je suis heureuse dans mon restaurant. Ça me suffit. Je me considère comme une éternelle satisfaite. Donc, pourvu que ça dure ! 

→ Pour en savoir plus sur son parcours et les dessous de l'émission Top Chef, écoutez son passage dans Sur le Grill d'Écotable, épisode #20 - Louise Bourrat, gagnante de Top Chef 2022, passe Sur le Grill d'Écotable

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